À l’occasion de la Toussaint, nous vous proposons de (re)découvrir l’histoire des cimetières de Saint-Laurent-du-Var.
Les victimes des bombardements du 26 mai 1944 enterrées au cimetière Saint-Marc

Le cimetière Saint-Marc conserve la trace historique d’un douloureux épisode de l’histoire laurentine. En effet, dans son carré militaire, reposent plusieurs corps de civils tués le 26 mai 1944. Ce jour-là, pour contrarier les plans des occupants nazis, une opération militaire aérienne alliée est menée sur Nice et Saint-Laurent-du-Var, visant des sites stratégiques.
Parmi les objectifs de l’aviation alliée, le pont Napoléon III. Une centaine d’appareils participent à cette opération.
À 9h45, la 4e vague vise l’ouvrage permettant d’enjamber le Var. Des civils sont tués à proximité du pont ainsi que dans le quartier de la gare. Une attaque qui a durablement traumatisé les Laurentins. Des habitants qui conservent dans leur ville des lieux en mémoire de ces victimes : le carré militaire du cimetière Saint- Marc mais aussi deux stèles sur la place Castillon.
Focus Patrimoine : le cimetière Saint-Antoine
Dénommé « le cimetière » (de l’an VII à 1911), puis « le vieux cimetière », l’appellation « Saint-Antoine » n’apparait qu’entre 1966 et 1975.
Dans le même quartier s’élevait la chapelle Saint-Antoine, construite en 1640 et occupée par la confrérie des Pénitents Blancs.
Cette chapelle servit d’entrepôt et de magasin au syndicat agricole et horticole de Saint-Laurent-du-Var de 1919 au début des années 30, date à laquelle elle fut démolie lors de l’élargissement de la place Saint-Antoine.
L’histoire du cimetière Saint-Antoine est étroitement liée à la position de la commune comme ville frontière et « Porte de France ».
Le premier cimetière identifié se situe dans l’enceinte du vieux village. Les sources attestent sa présence dès le XVIIe siècle. Il jouxte alors l’église paroissiale, comme le révèlent les visites pastorales en 1654 et 1661. Si la plupart des habitants y sont inhumés, ceux qui sont en mesure de s’acquitter d’un droit bénéficient d’une sépulture à l’intérieur de l’église paroissiale, sous le dallage.
Le mauvais état de ce cimetière est souvent relevé par l’évêque de Vence aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le bétail y entre faute de clôture efficace, les mauvaises herbes et les figuiers y poussent.
LE CIMETIÈRE DE L’AN VII
La « grande épidémie » de l’an VI accélère l’abandon de ce lieu de sépulture. Les morts en trop grand nombre, l’insertion du cimetière au plus près des habitations, font rechercher un nouvel emplacement. La solution se présente avec une propriété appartenant à Louis BOUYON puis à ses héritiers, close de murs et seule en état de recevoir les morts d’une manière décente. Cette propriété sert de lieu de sépulture à compter de frimaire de l’an VII.
L’épidémie passée, le conseil municipal de Saint-Laurent-du-Var insiste sur l’obligation, pour des raisons d’hygiène, de continuer à y ensevelir les morts, mais aussi d’agrandir ce nouveau lieu d’inhumation en utilisant le jardin attenant, appartenant aux hoirs de feu Jean-Honoré EUZIÈRE.
Cette décision s’inscrit dans l’évolution des pratiques funéraires observée depuis le milieu du XVIIIe siècle, qui voit les décisions civiles se multiplier pour repousser hors les murs les lieux de sépultures pour des raisons de salubrité.
Le décret impérial du 23 prairial an XII pose les bases de la législation moderne des cimetières, situés à une distance de 35 à 40m des habitations, qui deviennent propriété communale, terre de neutralité cultuelle, et où les familles peuvent établir des concessions et graver des épitaphes.
C’est sur ce décret que s’appuie la municipalité laurentine dans sa délibération du 24 frimaire de l’an XIV.
Le conseil se propose d’abord d’acquérir le terrain appartenant aux hoirs EUZIÈRE, mais évoque le peu de moyens de la communauté et le fait que le propriétaire soit en âge de « pupillarité ».
La première condition n’est pas sans rappeler la situation de Saint-Laurent. Village frontalier situé sur la rive droite du Var, il a subi dans son histoire mains passages et exactions de troupes, mais aussi les fréquentes crues et débordements du Var, qualifié par Vauban de « fou », de « gueux », qui ruinent et emportent les récoltes, condamnant les habitants à la misère.
Le Conseil municipal acte donc la location des 2 terrains et règle les arriérés aux hoirs BOUYON soit 56 francs.
Dépêchée sur place pour calculer la valeur du terrain BOUYON, une commission d’experts décrit précisément la propriété « clause de murs de maçonnerie fermé avec porte sans serrure servant à présent de sépulture pour la commune de Saint-Laurent et d’une superficie de 90 m², terrain vu de bonne qualité ».
LE CIMETIÈRE DE 1832
En 1832 se produit un évènement extérieur qui va infléchir de manière définitive l’histoire du cimetière Saint-Antoine.
Charles DESJOSBERT, ancien consul de France à Naples, en résidence à Nice, souffre alors d’une maladie incurable qu’aucun médecin ne peut soulager. Il entreprend un voyage jusqu’à Montpellier pour consulter, sans succès. À bout de souffrance, il se suicide au pistolet.
Le consul de France à Nice, le baron MASCLET, décrit dès le 22 juillet au sous-préfet du Var « la fatale catastrophe qui a mis fin aux souffrances de mon collègue ». Pour éviter à la dépouille d’être exposée à la potence comme il était coutume à Nice, il étouffe l’enquête et la fait conduire au premier village français.
Le corps de Charles DESJOBERT parvient dès le 17 juillet à Saint-Laurent-du-Var, accompagné du Consul de France et de son chancelier, des Consuls de Prusse et d’Angleterre. Le Var servant alors de frontière, il est reçu « à la sortie du Pont » par le Maire et les autorités.
Le clergé laurentin se montre compréhensif, les obsèques sont célébrées et le corps est transporté au cimetière avec les honneurs : des « feux de départ » sont tirés dans la tombe par les divers détachements présents.
Le ton de la lettre change alors et décrit un cimetière trop petit, « mal clos »,
« rempli de grosses pierres », « inabordable et sans chemin tracé », « avec une mauvaise porte d’entrée, si étroite qu’on a dû y faire passer de champ le cercueil ».
Pour honorer de manière décente la mémoire de son époux, la veuve de Charles DESJOBERT, Julie Eugénie née Delachaux, fait l’acquisition d’un terrain pour agrandir le cimetière et en fait don à la commune. Le cimetière est clos de murs crépis, avec une porte à deux battants, surmontée d’une inscription. Le terrain est dépierré, aplani, partagé en 4 compartiments par une double ligne se coupant à angles droits, et planté de cyprès, ifs, platanes…
4 cyprès sont plantés aux 4 coins de la tombe de M. DESJOBERT.
Le chemin d’accès est remis en état.
Se référant en outre à l’article 11, titre III du décret du 23 prairial an XII, elle affecte la somme de 50 francs aux hôpitaux ou établissements de charité de la commune afin d’établir une concession.
En contrepartie de ces bienfaits, le terrain contenant le caveau restera sa propriété et celle de ses descendants, le maire prenant l’engagement solennel « que cette propriété sera considérée comme sacrée et inviolable », et la commune devra assurer son entretien.
C’est la première concession à perpétuité de Saint-Laurent-du-Var, qui structure encore aujourd’hui l’espace du cimetière Saint-Antoine.
Cette piété familiale témoigne de l’émergence d’une nouvelle sensibilité des familles à l’égard de la mort, et de la modification des rites sociaux et religieux qui vont modifier l’aspect des cimetières.
La dalle indique que la sépulture fut refaite en février 1891 par la commune, qui se conforme ainsi à son engagement.

Tombe de Charles Desjobert.
Son nom sera donné à une rue du vieux-village.
Jusqu’en 1860, d’autres Français, morts à Nice, furent enterrés dans le cimetière de Saint-Laurent-du-Var, afin de reposer sur le sol national.
Ces sépultures successives eurent un impact considérable sur le développement du cimetière, attirant l’attention des autorités sur l’exiguïté du cimetière.
En mars 1838, le Lieutenant Général du FRICHE de VALAZÉ, député de l’Yonne, décède à Nice des suites d’une tuberculose pulmonaire.
Fils d’un Conventionnel de l’Orne, né en 1780, il entre en 1798 à polytechnique. Blessé à Austerlitz, il participe aux combats de Friedland et aux sièges d’Astorga et de Saragosse.
Nommé général d’Empire après une carrière au Portugal (1811) et en Prusse (1813), il se distingue sous Charles X au siège d’Alger.
Des obsèques grandioses sont organisées par les autorités sardes. Le drap mortuaire est tenu par le Général Commandant de la division de Nice et un Colonel, chef d’Etat-major et par deux français, le Colonel Commandant la place d’Antibes et un Lieutenant-Colonel d’artillerie en retraite.
Après des funérailles célébrées en l’église Saint-Augustin à Nice, la dépouille est conduite à Saint-Laurent-du-Var pour y être inhumée.
Les héritiers offrent à la commune la somme de 100 francs (80 francs pour le terrain et 20 francs pour le Bureau de Bienfaisance) afin de fonder une concession à perpétuité.
Objectant le grand honneur fait à la commune, le Conseil municipal refuse cette somme et décide d’offrir l’emplacement et la concession.

La dalle funéraire de Valazé.
Une rue du vieux village porte également le nom de Valazé.
Une délibération du 8 juillet 1838 dresse l’état du cimetière et nous renseigne sur l’évolution démographique de la commune, et la mise en application de l’édit du 23 prairial an XII.
On y apprend que la superficie du cimetière est de 230 m², que 50m² sont occupés par le monument de M. DESJOBERT, 16m² par les passages latéraux, et que 44m² sont réservés aux morts inconnus et aux non catholiques.
En établissant le nombre de décès à 181 pour la décennie 1828-1838, le Conseil estime que le nombre de morts sera en moyenne de 18 par an pour les 10 ans à venir, sauf épidémie (« qu’à Dieu ne plaise ! »). Saint-Laurent-du-Var compte alors 850 habitants. Une réserve de 108 m² est donc nécessaire, et il ne reste plus que 12m² disponible pour les concessions.
3 autres français, décédés à Nice, sont inhumés dans le cimetière dans les 5 ans qui suivent.
LE CIMETIÈRE DE 1844
En 1844, le Sous-Préfet s’inquiète de l’exiguïté du cimetière (lettre au maire du 7 mars) qui oblige à renouveler les fosses avant l’expiration du délai prescrit par le décret du 12 juin 1804. Plusieurs projets d’agrandissement sont présentés, sans suite.
Le même mois, le vice consul de France à Nice, Joseph BORG, achète sur ses deniers un terrain entouré de murs, placé à côté du cimetière, le long du mur d’enceinte et en fait don à la commune pour y construire un tombeau pour les restes de M.RICHARD et des autres personnes décédées à Nice qui ne pourraient être inhumées à Saint-Laurent vu l’exiguïté du cimetière.

La dalle funéraire de Chateaugiron.
Jusqu’au rattachement du Comté de Nice à la France, la commune reçoit d’autres sépultures illustres. Ainsi celle de René Charles Hippolyte LE PRESTRE DE CHATEAUGIRON, Consul de France à Nice (depuis juillet 1841), décédé à Nice le 9 juin 1848, qui demande dans son testament, daté de 1846, des funérailles simples, une table de marbre et une balustrade en fer.
LE CIMETIÈRE DE 1864
L’annexion du Comté de Nice constitue une nouvelle étape de l’histoire cimétériale. La construction d’un pont en pierre portant à la fois une route et une voie ferrée ouvre une véritable voie commerciale et entraîne l’accroissement de la population :
« Messieurs vous n’ignorez pas que depuis l’ouverture des travaux du chemin de fer et de l’endiguement du Var, la population de Saint-Laurent-du-Var a pour ainsi dire doublé. Nous avons toujours eu, en effet, de cette époque de sept à huit cents ouvriers. Par suite de ce surcroît de population, les décès se sont multipliés dans une proportion telle que notre cimetière ne peut plus suffire aux inhumations. Il est donc urgent afin d’éviter le renouvellement trop rapproché des fosses, d’agrandir le cimetière, je vous propose d’acheter pour cet objet la parcelle du terrain appartenant à la Dame Béranger Marie veuve Aubert, et que cette dernière consent à vendre pour le prix de mille francs, moyennant une réserve de quinze mètres carrés… »
Conseil municipal du 10 juillet 1864.
Il est à noter que cette proposition avait déjà été faite en 1844.
De nouveaux travaux d’amélioration ont lieu en 1886-1887 : réparation des murs d’enceinte et construction d’une morgue.
LE CIMETIÈRE AU XXe SIÈCLE
Face à l’impossibilité d’agrandissement du cimetière, trop imbriqué dans le bâti communal, le Conseil acte l’achat et l’aménagement d’un terrain pour la construction d’un nouveau cimetière (10 juin 1911).
Le procès-verbal de réception des travaux est approuvé le 30 août 1912.
Les deux cimetières coexisteront sous les dénominations d’ancien et nouveau cimetière jusqu’en 1947, date à laquelle le nouveau cimetière prend la dénomination de Saint-Marc, du nom du quartier où il se situe.
Quelques sépultures emblématiques

Sépulture de François BARRY
Ce peintre, né à Marseille en 1813, était le peintre officiel de la marine de France sous le roi Louis- Philippe.
De nombreuses inscriptions sur sa tombe relatent un parcours très riche : chevalier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre de Stanislas de Russie, commandeur Mégidie de Turquie et grand officier de l’ordre du Honduras (Amérique centrale).
Il meurt à Saint-Laurent-du-Var en 1905.
Une rente est allouée pour l’entretien de sa tombe en 1922.

Sépulture de François LAYET
Maire de Saint-Laurent-du-Var de 1884 à 1908, très apprécié pour « son dévouement, sa clairvoyance, sa finesse et ses qualités d’administrateur », il décède en 1909.
Il porte particulièrement ses efforts sur le développement du secteur agricole. Il reçoit d’ailleurs du Gouvernement la croix de chevalier du Mérite agricole, puis celle d’officier du même ordre (inscription en Provençal).
